L'escalier Saint-Pierre ou l'esprit du lieu

Ce matin de mars 2019 est un matin un peu plus excitant que les autres. La Fondation du Patrimoine m'a commandé un reportage pour le Loto du Patrimoine.

La ville de Pont-Saint-Esprit a un magnifique escalier monumental qui date du milieu du XIXème siècle. Il est malheureusement inaccessible car trop dangereux.​ Il n'y a donc actuellement plus d'accès possible depuis les quais du Rhône pour rejoindre la ville. La réouverture de cet escalier permettrait de rétablir la liaison entre les différents quartiers. La ville candidate donc au Loto du Patrimoine pour lancer la première tranche de travaux. 

Me voici donc partie de bon matin sur les routes d'Ardèche jusqu'au département voisin, le Gard. J'aime ces moments entre deux, où l'enthousiasme et l'appréhension se mêlent, avec l'air frais du matin. Car oui, ce matin, je me mets un peu la pression. Je me sens quelque peu responsable du succès ou pas de la candidature de cet édifice.

 

Repérage

Chaque reportage s'organise en amont. D'abord avec le contact avec le client, une prise de connaissance des consignes et un repérage géographique. Google Map est formidable pour cela. Il permet de calculer le temps de trajet, trouver le lieu exact et prendre connaissance des lieux avant le déplacement. Même si c'est un peu du sport de placer le petit bonhomme à l'endroit repéré. 

Et j'avoue, que j'ai eu quelques suées en voyant l'escalier (si vous êtes curieux, voici les coordonnées GPS sur Google Map). Il est tellement gigantesque... comment vais-je bien pouvoir le faire rentrer dans le cadre?? En plus, niveau recul... c'est zéro, à moins d'aller dans le Rhône...

Je pars donc un peu stressée et bien avance, avec TOUT mon matériel : les deux boitiers, tous les objectifs dont mon fameux super grand angle qui m'a sauvé la mise plus d'une fois pour les surfaces exigües.

Et en arrivant par le pont qui traverse le Rhône j'apperçois les coupoles des églises et devant, l'escalier. Il est réellement immense. Mais je respire, car j'ai trouvé mon point de vue pour le prendre en entier. Je ferai une photo depuis le pont. Premier point, check.

L'esprit du lieu

Je me gare, je fais le tour de la place puis j'appelle la chargée de mission de la mairie qui ne tarde pas à venir. Bien vite, elle m'explique leur projet, me montre les dessins de l'architecte et m'explique ce qu'elle attend des photos. Son enthousiasme est communicatif et je commence déjà à aimer ce bel escalier.

Si j'ai compris une chose en réalisant mon premier reportage en 2015 pour le Parc Naturel d'Ardèche et l'association de protection du patrimoine Liger, c'est qu'il faut prêter attention à l'esprit du lieu quand on photographie un édifice. Chaque maison ou bâtiment a ses qualités et ses défauts. Comme une forme de personnalité... et l'attention que leur porte le photographe quand il les photographie ainsi que son intention change l'ambiance des photos.

Je m'explique : quand je dois photographier de l'immobilier, je me projete. Quand c'est pour une agence immobilère, j'imagine ce que moi j'aimerais dans ce lieu en tant que futur habitante. Quand j'ai photographié les chaumières du plateau ardéchois, j'ai ressenti du respect pour ces maisons humbles mais vénérables, qui m'ont paru comme de vieilles grand-mères paysannes, plus ou moins fatiguées.

Et aujourd'hui je dois photographier un colosse aux pieds d'argile. Monumental et décrêpi. Grandiose et misérable. Avec tout mon respect et mon affection pour cet édifice exceptionnel.

Montrer l'ampleur des dégâts

Après avoir fait quelques vues au grand angle pour capter la grandeur du chef-d'oeuvre, je me reconcentre sur la raison du reportage.

Il ne faut surtout pas que je perde de vue la raison de ma venue sur ce site. Certes, l'escalier Saint-Pierre est grandiose et magnifique mais il semble surtout prêt à s'effondrer. Je profite de la lumière rasante du matin pour commencer à photographier des détails qui montrent l'état de péril de l'escalier. Et je n'ai que l'embarras du choix. La chargée de mission pointe du doigt chaque fissure, crevasse, pierre qui tombe... Nous passons ainsi en revue chaque recoin. Je mitraille tout en m'appliquant pour mes cadrages. Je veux faire de belles images, car je pense que cela servira la cause de notre escalier.

Escalier st pierre 4

Les habitants

Bien sûr les bâtiments ont pour moi une âme, mais ils sont surtout au service des habitants. Et ce pauvre escalier Saint-Pierre ne remplit plus sa fonction. On ne peut plus le gravir au risque de prendre un ébouli sur la tête. Il est fermé, trop dangeraux.

Dans les photos demandées par la Fondation du Patrimoine, il faut également réaliser des photos des personnes chargées du dossier. Je m'efforce de ne pas faire de photos figées des élus et des chargées de missions, qui se sont déplacés exprès sur le site. Je veux montrer leur implication dans ce dossier et leur attachement à cet escalier. Nous nous amusons, je les faire rire, nous réalisons de petites mises en scènes dans l'escalier. Je leur demande de faire "semblant se travailler" et cela les amuse beaucoup. Nous jouons également à mettre en valeur les 4 statues en parallèle avec les 4 responsables du projet.

Résultat

Bref, ce matin, j'ai fait de mon mieux. Je pense avoir capté ce que je voulais capter. Je rentre au studio pour vite traiter les photos et les envoyer le soir même.

Tout le monde croise les doigts et Alléluia, en juin 2019, la chargée de mission m'envoie un mail pour m'annoncer que l'escalier Saint-Pierre a été retenu pour participer au Loto du Patrimoine!

C'est pour tous ces moments de partage, d'émotion et de découverte que j'aime mon métier.

métier photographe